Le Petit Chaperon rouge mis en scène par Joël Pommerat : un voyage en enfance.

Publié le par Alien-azimutée

 

 

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Le petit chaperon rouge est certes un conte bien connu de tous, mais l'adaptation au théâtre de ce conte par Joël Pommerat s'adresse tant à un public d'adultes qu'à un public d'enfant. À partir d'un conte vu et revu, ce metteur en scène crée une pièce unique et à différents degrés de lecture. Il exploite, en effet, les personnages présents dans l'histoire originelle pour porter un nouveau message et oblige le spectateur à adopter leur regard. Cette plongée dans le point de vue d'un personnage est particulièrement frappante dans le cas du personnage du petit chaperon rouge. Ceci permet alors à Pommerat d'offrir à son public adulte un retour en enfance ainsi qu'une forme de définition de cet univers poétique et naïf dans lequel évoluent les enfants.

 

 

L'utilisation de la matière originelle pour créer un conte nouveau :

 

Joël Pommerat ne se contente pas de mettre en scène ce célèbre conte du Petit Chaperon Rouge, mais nous livre sa vision personnelle du conte : « Je voudrais écrire ma propre version de l’histoire. L’histoire du petit chaperon rouge ne se réduit pas à la version littéraire de Charles Perrault ». Ce n'est cepend

ant pas par un travail de réécriture qu'il renouvelle ce récit, mais en plongeant au cœur de celui-ci, s'intéressant à chaque détail, pour finalement extraire ce qui lui semble l'essence même de ce conte : « je voudrais me recentrer sur les différentes actions et les différents personnages. Rendre ces personnages et ces moments dans leur plus grande simplicité et vérité. ». Ainsi, il ne modifie pas fondamentalement la trame narrative du conte mais décide d'accorder une plus grande part aux personnages de la mère et de la grand-mère, développant pour elles-deux une multitude de petits détails narratifs, nous permettant de mieux cerner ces nouveaux personnages. Il crée, par ailleurs, le personnage du narrateur qui nous conte alors cette fameuse histoire du petit chaperon rouge, procédé lui permettant de renouer avec la forme essentiel du conte : le récit oral. C'est donc au fil du récit du conteur que l'on apprend à mieux connaître le personnage de la mère : qu'elle n'a pas de temps pour s'occuper de son enfant, qu'elle l'abandonne parfois des jours entiers. Le narrateur nous apprend également la situation de la grand-mère du petit chaperon rouge : qu'elle est très vieille, qu'elle vit seule et très loin, qu'elle ne répond pas toujours aux questions. Enfin, le narrateur pose également le cadre de l'histoire, en décrivant la situation du petit Chaperon Rouge elle-même : qu'elle s'ennuie beaucoup, qu'elle n'a pas le droit de sortir, qu'elle voudrait passer plus de temps avec sa mère. Le metteur en scène esquisse en effet, à l'aide du discours de son narrateur, des personnages aux psychologies complexes, et situe le conte dans un contexte très détaillé, donnant alors à celui-ci une dimension bien plus large, car il n'appartient plus tant au domaine du conte qu'à celui de notre quotidien. Qui ne s'est jamais ennuyé étant petit ?

 

Une plongée dans la perception des personnages :

 

Bien que la scène soit très épurée, Pommerat rend compte des différents lieux par un jeu d'éclairage subtil, nous donnant parfois à voir un même endroit sous différents angles, laissant ainsi le spectateur se glisser dans la peau de l'un des protagonistes pour assister à la scène. C'est notamment le cas de la porte de la maison de la grand-mère. Bien que celle-ci n'ait aucune existence réelle, elle est matérialisée par la lumière. Présentée d'abord de l'extérieur, par une projection au sol, lorsque le loup arrive devant la maison, elle nous est ensuite montrée de l'intérieur par le rai de lumière qui se dessine au sol, comme une porte que l'on entrouvre. Dans ce second temps, le loup s'apprête à pénétrer la maison et dévorer la grand-mère. Cette mise en scène en deux temps, nous plaçant tour à tour dans la peau du loup, puisqu'on se trouve à l'extérieur de la maison, puis dans celle de la grand-mère, puisqu'on est alors à l'intérieur, génère alors une tension dramatique, et Joël Pommerat oblige, par ce moyen, le spectateur a osciller entre la perception du loup et celle de la grand-mère, créant une forme de suspens chez le spectateur, bien qu'il sache à l'avance que la grand-mère sera dévorée par le loup, et donnant par ailleurs à ce dernier une dimension bien plus effrayante. Il n'apparaît en effet que dans la pénombre de l'entrebâillement de la porte, or n'est-ce pas là le propre des monstres de l'enfance, tapis dans chaque coins obscurs.

En effet, rien n'est laissé au hasard dans cette mise en scène, et tout semble nous amener à percevoir les émotions et sentiments du personnage central de ce conte : une petite fille qui s'ennuie et qui aimerait se confronter à ses peurs. Ainsi, le petit chaperon rouge évolue au sein de différents espaces, qu'elle perçoit à travers toute une palettes d'émotions clairement évoquées par la mise en scène. 

 

pcr-maison.pngDans les premiers temps du récit, elle est chez elle avec sa mère, et s'ennuie car celle-ci n'a que peu de temps à lui consacrer. L'ennui et la solitude de l'enfant est perceptible par le spectateur à travers une scène presque vide : les seuls éléments de décor sont deux chaises. De plus, la scène est plongée dans la pénombre, générant une impression de tristesse et de froideur. Enfin, le seul bruit qui habite cette scène est celui des chaussures à talon de la mère uniquement matérialisés par leurs sons claquants, qui va et vient à travers la scène. La solitude de cette jeune fille est donc perceptible par les spectateurs, qu'ils soient adultes ou enfants, puisque le metteur en scène fait ici appel à nos sentiments face à cette scène dénudée, nous laissant par nous-même percevoir le vide qui règne en ces lieux.

 

 

pcr-foret.pngCependant, bientôt cet espace n'est plus suffisant pour l'enfant, elle veut affronter ses véritables peurs, celles du monde extérieur. Ainsi, toujours dans le but d'immerger le spectateur dans la perception du protagoniste, on voit, comme elle, sa mère disparaître au fur et à mesure qu'elle s'éloigne de la maison. Jeu subtil du fond de scène plongé dans l'obscurité totale, elle reste immobile, tandis que le personnage de la mère recule, comme à travers la perception d'un enfant, pour qui tout semble en mouvement autour de lui. De plus, on ne perçoit de la forêt que les reflets de ses feuilles sur le sol, comme si notre regard était adapté à l'échelle du personnage. L'aspect sombre et effrayant de la forêt est alors manifesté par l'éclairage, et le petit Chaperon Rouge s'invente un double imaginaire pour se rassurer, rendant cette inquiétude d'autant plus visible pour le spectateur. On assiste alors à une scène de jeu entre le petit Chaperon rouge et son ombre qui prend vie à travers son regard. Elle ne comprend pas que celle-ci se déplace en fonction de ses mouvements. L'ombre finira d'ailleurs par obtenir une véritable autonomie, par ce moyen Pommerat rappelle au spectateur qu'il assiste véritablement à un conte.

 

En conclusion :

 

Je ne pensais pas pouvoir trembler devant le loup du petit Chaperon Rouge, mais nul doute que ce conte, tant dans la peur qu'il inspire, que dans les messages qu'il véhicule s'adressent à tous, petits comme grands. La scène où le loup s'apprête à dévorer la grand-mère, semble le mieux illustrer la maîtrise totale de l'éclairage et du son dont fait preuve le metteur en scène à travers l'ensemble de son spectacle. Il parvient à générer un véritable sentiment de peur chez son public. Mais s'il maîtrise si bien l'aspect effrayant de cette histoire, c'est, à mon avis, un moyen de nous replonger en enfance, nous donnant à vivre, tour à tour, la peur du monstre et l'émerveillement face à la nouveauté comme seul un enfant peut le percevoir.

Publié dans théâtre

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